Couronné de succès, ce brillant homme d’affaires franco-suisse se bat depuis quinze ans pour un monde plus équitable. Un monde dans lequel toutes les femmes et tous les hommes jouissent des mêmes droits sociaux, économiques et politiques. Sur un même pied d’égalité. De l’entreprenariat à la philanthropie, il n’y a qu’un pas qu’il franchit en 2005, alors qu’il n’a que trente-quatre ans, en créant la Fondation Womanity, aujourd’hui classée dans le top 200 des meilleures ONG au monde. Objectif : mettre l’accent sur l’émancipation et l’autonomisation des femmes dans le monde. Avec la conviction que le moyen le plus efficace pour construire une croissance durable est de constituer des partenariats entre l’entreprise privée et l’entreprise sociale. Depuis, il y consacre la moitié de son temps. Humaniste, ses actions parlent pour lui. En 2016, Yann Borgstedt reçoit le prix BNP Paribas de la philanthropie individuelle. Rencontre.

Comment devient-on philanthrope ?
Nous gagnons notre vie avec ce que nous recevons, mais nous lui donnons un sens avec ce que nous offrons”…  J’ai reçu une éducation de qualité et réussi professionnellement. J’ai ressenti une forte envie d’aider les autres à accéder aux possibilités et à la croissance. 

D’où vient votre engagement pour les droits des femmes ?
J’ai été sensibilisé lors d’un voyage au Maroc en rencontrant au début des années 2000 des ONG qui aidaient des jeunes filles, entre six et douze ans, à retourner à l’école après avoir été placées par des “recruteurs” dans des familles pour travailler comme “petites bonnes”. J’ai découvert que beaucoup de ces filles devenaient pratiquement esclaves de ces familles et étaient souvent utilisées pour les rapports sexuels. Certaines d’entre elles se sont retrouvées prostituées dans la rue ou sont tombées enceintes à un âge où elles auraient dû jouer avec leurs amies. J’ai su alors sans l’ombre d’un doute ce que je devais faire. C’est à ce moment que je me suis engagé à travailler pour promouvoir un monde où toutes les femmes et tous les hommes jouiraient d’une égalité et d’une plénitude sociales, droits économiques et politiques. C’est ainsi que la Fondation Womanity est née.

Êtes-vous féministe ?
Plutôt humaniste ! Se battre pour la femme, c’est se battre pour une société plus juste. Comment un homme peut-il tolérer qu’actuellement une femme sur trois souffre au cours de sa vie de violence, harcèlements graves ou sévices ? 70% des pauvres sont des femmes et les femmes ne gagnent que 1% des actifs mondiaux. Pour moi c’est inacceptable. L’égalité hommes-femmes a non seulement été reconnue comme un droit humain essentiel, mais aussi comme la seule façon d’atteindre un développement durable. L’ODD5  (Objectifs de développement durable) fait de l’égalité l’affaire de tous. Et nous devons travailler ensemble pour nous assurer de sa concrétisation.

Pourtant, le combat pour l’égalité est une croisade menée quasi exclusivement par les femmes.
Nous avons besoin de plus d’hommes aux quatre coins du monde qui luttent pour changer les systèmes et les structures afin de faire de l’inégalité entre les sexes un combat du passé. Chez Womanity, la plus grande partie de notre travail se concentre sur le changement des attitudes et sur l’éducation des garçons et des hommes. Nous avons besoin d’hommes qui se battent aux quatre coins du monde pour changer les systèmes et les structures si nous voulons avoir une chance d’éradiquer véritablement l’inégalité entre les sexes

Quelle approche avez-vous de la philanthropie ?
Pour moi la philanthropie est un métier et je m’y attèle avec une approche entrepreneuriale. Le but est d’avoir un impact positif mesurable. J’essaie de créer un monde plus équitable où hommes et femmes bénéficient des même droits et opportunités.

Comment vous y prenez-vous ?
Nous développons des partenariats durables avec des experts locaux, des entreprises et des entrepreneurs sociaux afin d’investir dans de nouvelles idées qui incitent au changement et combattent les inégalités de genre. Ensemble, nous provoquons un impact grâce à l’innovation, la collaboration, la montée en puissance et la réplication. Nous croyons en la prise de risques calculés par le biais de notre philanthropie et par l’investissement à long terme. Nous testons de nouveaux modèles pour le développement, l’apprentissage et l’adaptation, dans une optique de durabilité.

Quels sont les projets à venir ?
Nous voulons maximiser le rôle des médias dans les débats sociaux et c’est pour cela que nous avons créé une plateforme digitale pour la production et la distribution de contenu médiatique visant à remettre en question les stéréotypes féminins au Moyen-Orient.  Wemean Media est un média digital multiplateforme dédié à la lutte contre les stéréotypes de genre dans la région MENA. Il vise à agréger et créer un contenu vidéo original pour divertir, engager et inspirer les millénaires arabes. L’ensemble des chaînes web, Facebook, YouTube, Instagram des marques appartenant à Wemean est suivi par plus de 3 millions de personnes et a généré plus de 200 millions de vues en 2018 auprès d’une audience mixte (52% de femmes) de millenials avec un gros focus sur les pays du Golfe, Égypte et une forte audience en Arabie Saoudite.

Les réseaux sociaux sont donc pour vous à ce jour les meilleurs relais…
Les études que nous avons menées montrent que sur les réseaux sociaux, les campagnes marketing pour une cause, notamment l’autonomisation des femmes, génèrent plus d’engagement et de vues que les campagnes traditionnelles. Nous souhaitons ainsi, compte tenu du contexte unique de mise en avant de la femme dans les pays du Golfe (notamment Vision 2030 en Arabie Saoudite), travailler en partenariat avec les marques afin de concevoir de campagnes à la fois percutantes et engagées et devenir un acteur du changement quant à la vision de la femme.

QUELQUES PROGRAMMES DÉVELOPPÉS PAR LA FONDATION WOMANITY

Radio NISAA FM : 2010 Womanity lance la première station commerciale dirigée et animée par des femmes au Moyen-Orient

“J’avais vu une radio similaire en Afghanistan et j’ai voulu faire la même chose au Proche-Orient. J’ai cherché une femme qui avait déjà géré une radio et nous avons lancé NISAA FM mi-2010. Le but est de donner davantage de voix aux femmes dans l’espace public et de créer des emplois dans les médias. Aujourd’hui, NISAA FM est parmi les cinq radios les plus écoutées au Moyen-Orient”.

”Smi’Thoua Minni” (expression arabe qui signifie “Vous l’avez entendu de moi”), série satirique diffusée sur YouTube au Moyen-Orient

De nombreuses femmes dans le monde arabophone se retrouvent dans des positions économiquement dépendantes au sein de leur famille, avec peu ou pas de pouvoir de décision et exposées à une certaine forme de violence. Smi’touha Minni (vous l’avez entendu de moi) est une émission satirique diffusée sur YouTube qui démystifie les stéréotypes de genre et déconstruit les récits traditionnels sur le genre. L’émission aborde des questions telles que le travail domestique non rémunéré, les écarts de salaire, la taxe rose, le genre et l’honneur, le genre et l’espace, la santé, la parentalité et les crimes d’honneur.

Girls Can Code : Afghanistan

C’est Cherie Blair, épouse de l’ancien premier ministre britannique, qui a impliqué Yann Borgstedt dans un projet qui allait devenir l’un des piliers de The Womanity Foundation. “Lorsque les talibans se sont retirés d’Afghanistan en 2002, la situation des femmes dans ce pays et surtout le niveau catastrophique de l’éducation des filles ont été révélés au monde. Cherie Blair voulait s’impliquer dans l’éducation des filles et nous avons fait équipe pour transformer la plus grande école de filles en une école modèle à Kaboul”. Cette école de 5 000 élèves de la maternelle à la dernière année du secondaire est devenue l’une des meilleures d’Afghanistan. Depuis Yann Borgstedt a reproduit le modèle dans 13 autres écoles pour filles. Son dernier projet en Afghanistan : “Girls Can Code”, qui facilite l’accès des filles aux métiers de l’informatique. “Investir dans l’éducation des filles, c’est augmenter la richesse d’un pays. Lorsque le nombre de filles scolarisées augmente de 10 %, le PNB augmente en moyenne de 3 %”.

WomenChangeMakers : Brésil et Inde

WomenChangeMakers identifie les entreprises sociales axées sur les femmes en phase de croissance qui ont le potentiel d’augmenter leur portée et leur impact. Womanity travaille avec chaque organisation sélectionnée afin d’ évaluer où son soutien est le plus nécessaire et de sélectionner les partenaires le plus adaptés. Le résultat ce sont des organisations plus fortes et plus efficaces dotés de l’infrastructure nécessaire pour accélérer leur croissance. CI-DESSUS : PROGRAMME “Mulher em Construção” AU BRÉSIL.

Womanity Award : portée mondiale

Le Womanity Award est un programme unique qui met en lumière des solutions innovantes qui s’attaquent aux causes profondes de la violence faite aux femmes et favorise le partenariat entre les organisations partout dans le monde pour mesurer ces solutions. Les lauréats du prix bénéficient d’un financement, d’un accompagnement et d’une expertise technique afin que leur projet novateur rencontrant un franc succès dans une ou plusieurs régions puisse s’adapter à une nouvelle aire géographique.

Bio express

1971 Naissance à Genève (Suisse)
1996 Après des études au Babson College (Massachussetts, Etats-Unis) cofonde la société de design Web Netarchitects.
2001 La société Netarchitects est vendue au groupe Altran. Investit dans l’immobilier en France, en Angleterre et en Suisse.
2005 Créé la Fondation Womanity.
2016 Reçoit le prix BNP de la philanthropie individuelle.

Quelques statistiques

❌On estime que 12’000 milliards de dollars pourraient être ajoutés au PIB mondial d’ici 2025 en faisant progresser l’égalité des femmes.
❌On estime à 62 millions le nombre de filles privées de scolarité à travers le monde. En outre, en 2017, les femmes créatrices n’ont reçu que 2 % de l’ensemble des dollars investis en capital-risque.
❌70% des personnes pauvres dans le monde sont des femmes (Unifem, 2008).
❌2/3 des illettrés sont des femmes
❌40% des femmes françaises ont subi une injustice en raison du sexe (enquête CSA, 2016).
❌Toutes les 10 minutes une femme meurt dans le monde suite à un acte de violence.