Lors de la diffusion sur Netflix de la mini-série documentaire “Room 2806 L’Affaire DSK”, réalisée par Jalil Lespert, un personnage a retenu notre attention. Benjamin Brafman, célèbre avocat du barreau New-Yorkais à la personnalité controversée. Au palmarès de ce pénaliste de haute voltige, on compte outre Dominique Strauss Kahn dans l’affaire du Sofitel, le producteur déchu Harvey Weinstein, Jay-Z, Michael Jackson… de nombreuses stars de la musique et du rapp, mais aussi des parrains de la drogue… Bref que des grosses pointures du crime organisé, sexuel ou financier. Alors, comment devient-on un ténor du barreau que rien n’effraye ?

“Les gens viennent me voir quand ils sont dans une situation désespérée” at-il l’habitude d’asséner aux journalistes.

Comment ne pas être fasciné par cet homme de 72 ans dont la taille (1,65 mètre) est inversement proportionnelle à la dimension de son talent. Celui de défendre, sans faille, avec dérision et autodérision, punch et ténacité, foi et mauvaise foi si nécessaire, les causes les plus ingrates et polémiques de notre époque : le meurtre, le viol, l’abus sexuel, le vol ?

Parfois considéré comme désinvolte, cet homme aux cheveux gris, rabattus en arrière, et qui affiche une dégaine digne de celle de Joe Pesci dans un film de Scorcèse, a une certitude : sa clientèle au pedigree sulfureux joue en sa faveur.

La mafia

Benjamin Brafman se fait un nom grâce à elle. Dans les années 80, il se fait remarquer en défendant les barons de la mafia. Ces affaires alors boudées par les grands avocats pénalistes de l’époque, le propulse sur le devant de la scène. Au cours du procès du Clan Gambino, une des familles les plus puissantes de la Mafia new-yorkaise, il excelle. Son client, Anthony Senter est blanchi pour 21 de ses 22 chefs d’inculpation. George Sciacia et Sammy Le Taureau solliciteront ses talents. Ils seront acquittés sans autre forme de procès ! Du coup, il est adopté par la Mafia qui voit en lui sa planche de salut. Cela déplait fortement à ses confrères qui considèrent qu’il va trop loin surtout lorsqu’il assiste aux funérailles de Paul Castellano, le Parain des Gambino, le plus fortuné des grosses pointures de la Cosa Nostra.

En 1998, il défend Peter Gatien, un propriétaire de boîtes de nuit accusé d’avoir converti deux de ses clubs en distributeur d’ecstasy. Le procureur présente six dealers dont les témoignages accablent l’inculpé. Brafman, lui, se dispense de témoins. Et obtient l’acquittement.

Autres temps, autres mœurs !  Après la mafia Benjamin Brafman veut se faire un nom dans un domaine plus respectable : celui des Stars.

Les stars

Puff Daddy : accusé d’avoir ouvert le feu dans une boite de nuits devant plus de 100 témoins. a été acquitté, en 2001, grâce à Benjamin Brafman. Jay-Z :  Alors qu’il il risquait 15 ans de prison pour avoir blessé, à coups de couteaux, un producteur de musique,. Il sort libre avec 3 ans de mise à l’épreuve. Michael Jackson : lorsqu’il est accusé de pédophilie, Bambi fait aussi appel à Brafman pour préparer le dossier. Un brin provocateur, l’avocat des stars et la star des avocats se plait à se décrire comme un grand-père ordinaire. Il aime à relater l’histoire de son petit-fils, Max, 7 ans à l’époque, qui,  alors que son grand-père passait à la télévision s’est étonné que sa mère lui dise que Papy Benny allait aider Michaël Jackson , “le plus grand chanteur et danseur de tous les temps” et le petit Max de répondre : “Mais comment grand-père peut l’aider. Il ne sait ni chanter ni danser.”

Ultérieurement, il interviendra dans l’affaire Weinstein où il mettra en évidence des erreurs dans la conduite de l’enquête qui ont mené à l’abandon des poursuites liées à l’une des trois victimes présumées. ll refusera finalement de le défendre en 2019 alors que Harvey Weinstein était inculpé pour agression sexuelle sur une femme en 2006 et pour des viols présumés en 2010 et en 2013.  Il serait apparemment rentré dans une colère noire lorsque Weinstein lui aurait annoncé son intention de faire appel à de nouveaux avocats. Une forme de désaveu insupportable pour Ben Brafman.

Alors, comment devient-on un Ténor du Barreau que rien n’effraye et qui laisse volontiers échapper des larmes lorsqu’il gagne un procès ?

Brafman ou l’art de la dialectique

Ben pour les intimes est né le 21 juillet 1948 à New York. Il est issu d’une famille juive orthodoxe d’Europe de l’est extrêmement modeste qui immigre aux États-Unis à la fin des années trente pour échapper au nazisme. Enfant, il va à l’école juive (la Yeshiva) de Brooklyn où il paresse sur les bancs. Et pourtant, il se servira d’une dialectique issue de ses enseignements (“Le pilpoul”) pour exercer son art et y exceller. Son credo : plaider en affirmant tout et son contraire avec la même détermination et le même talent. L’étude du Talmud à la Yeshiva lui a appris l’art de la dialectique et de la contradiction. Rechercher la preuve et trouver la contre preuve pour instiller le doute dans l’esprit des jurés et déclencher l’acquittement. En ce, il se fera assister, la plupart du temps, par de fins limiers, enquêteurs privés ou jeunes juristes qui enquêtent sur le passé des gens, fouillent avec minutie, leur vie, leur passé, leurs habitudes, leurs vices…et même leurs poubelles. Le but : mettre à jour le côté obscur des victimes ou des témoins pour décrédibiliser leur parole.

S’engouffrer avec verve dans la brèche du mensonge, poser des questions courtes, directes, tranchantes pour déstabiliser le témoin : voilà la méthode Brafman. Dans un pays où le contre-interrogatoire est l’arme absolue pour découvrir la vérité, la perversité est un atout. Il en use et en abuse avec talent mais uniquement sur le plan professionnel. Sur le plan personnel, Il est toujours marié à Lynda, bibliothécaire, rencontrée à l’âge de 14 ans dans une synagogue et vit comme un bon père de famille dans les quartiers huppés de Manhattan.

Pervers ? Retors ? Culotté ? Qui peut lui jeter la pierre ?

N’est-ce pas le rôle d’un avocat de défendre toutes les causes et surtout l’indéfendable ?

Benjamin Brafman du Cabinet Brafman et associés 767 3rd Avenue NYC comme il aime à se présenter à la barre du Tribunal, est définitivement l’homme dont on doit avoir le numéro de portable en cas de gros pépins aux États-Unis et ce, “quoiqu’il en coûte”. Comptez un taux horaire de 800 dollars et au moins 1 million de dollars l’affaire mais quand on encoure de la prison ferme aux États-Unis, on ne compte pas.

Finalement, le plus beau compliment qu’on puisse lui faire est bien d’être aussi pervers que ses clients et c’est en cela, qu’il est le meilleur. “Je suis un peu leur prêtre ou leur rabbin” dit l’avocat qui aimait discuter musique et art avec le boss de la mafia Castellano.