Au début du mois de mai, en plein confinement lié à la pandémie de la Covid-19 et alors que New-York compte ses morts, est annoncée aux États-Unis, la parution d’un livre manifeste qui allait mettre le feu aux poudres et faire exploser la Fashion Planet. Il s’agit de l’autobiographie d’André Leon Talley, ALT pour les intimes, ex-collaborateur émérite du Vogue US et “ami” d’Anna Wintour. Le livre est intitulé “The Chiffon Trenches”.

La froide papesse de la mode

Anna Wintour : vous savez, la papesse de la mode qui faisait la pluie et le beau temps chez Vogue US depuis 1988, toujours cachée derrière son carré impeccable et ses lunettes de soleil noires en mode mouche; cette femme au visage fermé (mais chut, elle se concentre !) toujours en front row des défilés du monde entier et qui, parfois, esquisse un demi sourire, lorsqu’une célébrité ou un homme d’affaires fortuné est placé auprès d’elle ; cette femme inatteignable dont tout le monde a peur sauf les People pour qui elle daignera faire un coucou de complaisance.

Le Diable s’habille en Prada

Anna Wintour. Celle dont on dit qu’elle fait et défait, sur un coup de fil, les carrières de jeunes stylistes ainsi que les tendances ; celle qui aurait des dossiers sur tel ou tel, secret de sa longévité s’il en est; celle dont les traits principaux ont été merveilleusement campés par Meryl Streep dans le film à succès “Le diable s’habille en Prada”.

”J’imagine que j’étais devenu trop vieux, trop gros, plus assez cool pour Anna Wintour” balance André Leon Talley

L’énigmatique et impitoyable Anna Wintour aurait donc fait l’objet d’une attaque frontale de son “ex meilleur ami”, André Leon Talley et si la sortie de son livre “The Chiffon Trenches” a été reportée en septembre par sa maison d’édition, nous n’en avons pas moins accès à des morceaux choisis de meilleur aloi : ”J’imagine que j’étais devenu trop vieux, trop gros, plus assez cool pour Anna Wintour”. Ayant fait partie de sa garde rapprochée pendant des années, il évoque, dans son autobiographie, ses “citatrices émotionnelles et psychiques intenses issus des comportements d’une femme satanique”.

Rancœur d’un collaborateur ?

Rancœur d’un collaborateur usé par trop de caprices et éconduit (cela signifie “viré comme une merde” dans le langage modeux) ou description authentique d’une femme d’affaires sans pitié et à la perversité distinguée qui n’a pas le temps pour les mièvreries humaines dont le corollaire serait le Respect de la personne humaine et la Bien Séance ?

Quoiqu’il en soit et même si ALT a été tenté de régler ses comptes à travers son livre, on ne peut s’empêcher de noter qu’il le fait alors qu’Anna Wintour a franchi le cap des 70 ans et que son pouvoir a déjà été érodé par l’apparition de personnalités pus jeunes et certainement plus bienveillantes dans l’exercice de leur profession…. On pense notamment à Carine Roitfeld, l’instigatrice du Porn Chic et l’amie de Tom Ford qui a révolutionné la maison Gucci dans les années 1990/2000 !

Élégance d’une Carine Roitfeld

Cette même Carine Roitfeld qui, pendant la Covid, organisait un défilé virtuel avec les plus grands Top Models de la planète aux fins de récolter des fonds pour aider les hôpitaux et les victimes de la pandémie. À côté, le désintérêt chronique de Madame Wintour pour la condition humaine fait tâche !

Au fond, c’est cela que l’on reproche à Anna Wintour : ne pas avoir utilisé ses contacts et sa notoriété pour se tourner vers les autres et se rendre utile. Être restée droit dans ses bottes en faisant passer le métier avant le reste.

Le monde a changé #MeToo

Mais, le monde a changé ! Comme dans le cinéma avec l’affaire Weinstein, dans la photographie avec les cas Mario Testino et Bruce Weber, dans les médias avec le fameux “you’re fired” de Donald Trump, dans la finance avec Epstein (rappelons tout de même que chacune des personnes nommées ici a droit à la présomption d’innocence), “l’humain” est devenu au cœur des préoccupations. En imposant, pendant l’épidémie de Covid, à ses collaborateurs de venir travailler dans les bureaux du One World Trade Center au lieu de leur permettre de télé travailler et en qualifiant, avec mépris et arrogance, cette épidémie de “it’s not not a big deal” (ou, en français, ce n’est qu’une petite grippette ), Anna Wintour a ouvert la porte à toutes les critiques.

ALT Drama Queen ?

Chaque frusté, débouté ou viré de la Fashion Planet s’y est engouffré ! Mais ALT ne me parait pas faire partie de ces gens-là. Plutôt respectueux et convivial version Drama Queen sympathique et magistral. Que s‘est-il passé ?  L’usure, la déception, le ras le bol d’un monde sectaire, superficiel et capricieux. Rien de nouveau sous le soleil mais, désormais, on ose parler ! On ose dénoncer !

Toute l’admiration qu’on vouait à Anna Wintour, il y a encore peu, par respect de la longévité de sa carrière ou par crainte de se faire saquer, s’est transformée en rejet d’une personne implacable et “satanique“. Ainsi va le monde.  Pour le meilleur comme pour le pire.

On brûle un jour ceux que l’on adulé la veille. Cette vieille maxime prend tout son sens depuis le #MeToo où l’on a vu, à tord ou à raison, des quidam ainsi que des célébrités se faire justice elles-mêmes par l’entremise des réseaux sociaux et du tribunal médiatique. Mais dans ce cas-là, il s’agissait tout de même de cas d’agressions sexuelles présumées.

La donne a changé et cela s’applique aussi à la mode et son univers impitoyable. Chic & Furious vous avait prévenu !

Non au harcèlement moral

Pour Anna Wintour, c’est plutôt la qualification de “harcèlement moral” qui pourrait valablement être retenue chez Vogue US comme plus récemment (2013) chez Condé Nast à la direction artistique mais là aussi, pas de preuves. Que des “on dit”, qui répétés à outrance et émanant de personnes crédibles, seraient bien capables de lui porter un coup fatale! Mais c’est le jeu non ?

La donne a changé et cela s’applique aussi à la mode et son univers impitoyable. Chic & Furious vous avait prévenu : la mode sera désormais respectueuse, bienveillante, éthique, socio, éco et bio responsable ou ne sera pas !

Il va donc falloir, sans délai, organiser des formations pour toutes celles et ceux qui avaient gardé les sales manies des années 80 à 2000 où le “ma chérie” et ”ma douce” semblaient devoir annihiler tout emploi du “s’il te plait” et où, dans un contexte professionnel qui se veut décontracté, les injonctions et les “c’est urgent ; magne toi un peu le cul” avaient très vite remplacé les demandes bien formulées et polies, respectueuses d’un droit du travail aguerri.

Human First

Et il est vrai que dans le petit monde privilégié du luxe, il n’est pas rare d’entendre des remarques méchamment désagréables et ciblées sur le poids ou l’apparence. Même dans les enseignes branchées des Fashion Cities, il est courant de s’entendre dire d’un ton arrogant par une vendeuse trop bien formée à l’outrecuidance et pas assez à la bienveillance “vous comprenez Madame : ici, nous sommes à la pointe de la mode et tout le monde ne peut pas porter cela”. Comprenez donc qu’au-delà de la taille 34 (dernièrement déguisée en 36 pour ne pas trop choquer les détracteurs de l’anorexie! ), vous êtes obèses et ne correspondez plus aux standards de la maison. Dehors !

Ainsi, va la vie ! Les toujours pressé(e)s”, “les excité(e)s du bocal” de la mode mais aussi de la musique, du cinéma, de la pub, de la finance et consorts vont devoir se calmer sinon la sentence de “Human First” risque de tomber via le Print, Facebook, Instagram, Twitter qu’importe et le tribunal médiatique de s’emballer à nouveau.

Alors, femmes et hommes d’affaires de tous bords, soyez vigilants : vous êtes surveillés et la bienveillance sera votre seule guideline !

Photo ©Eugene Gologursky/WireImage/Getty Images