“Souvent je me demande ce que je fais encore là. Seul ou entouré, dans le noir ou baigné par des lumières artificielles, dans une rue obscure ou aux abords d’une piste de danse, la même question : “Qui suis-je, moi qui veille ?” Dès l’instant où cette question se pose, je sais que la nuit est terminée.”

Ainsi débute l’essai passionnant que Michaël Fœssel consacre à la nuit. Noctambule confessant ne pas avoir “un bon rapport avec le sommeil”, le philosophe français de la jeune génération, aujourd’hui en charge de la chaire de philosophie de la prestigieuse École Polytechnique, convie dans sa nuit d’autres familiers de l’obscurité :  Restif de la Bretonne et ses Nuits de Paris ; Dostoïevski et ses Nuits blanches ; Rancière et sa Nuit des prolétaires ; Levinas et sa troublante analyse de l’insomnie ; Alexandre, héros de La Maman et la Putain de Jean Eustache, joué par Jean-Pierre Léaud, qui explique : “Vous savez comme les gens sont beaux la nuit”... Des professionnels, comme le veilleur de nuit ou le physionomiste… Le temps où la lumière disparaît incite à plus de tolérance et d’égalité. L’obscurité peut être un abri, un refuge… Un espace menacé par la modernité et sa transparence hygiéniste et totalisante. 

“Consentir à la nuit, c’est accepter de se soumettre aux expériences singulières qu’elle seule rend possibles. Bonnes ou mauvaises, intimes et sensibles”.

Alors, peur de la nuit ? Peur tout court…
Dans cet essai, Fœssel nous invite à mieux vivre avec nos peurs, les regarder en face pour mieux les maîtriser, mieux se les approprier.

Mickaël Fœessel ne vous souhaite pas “Bonne nuit”
Promesse de sommeil, d’une nuit tout entière aspirée par les contraintes du jour d’après. C’est vivre une “nuit sans événement”. La sienne s’achève au mythique Berghain de Berlin. Berlin, ville que Fœssel a découverte à l’adolescence, un an avant la chute du Mur, dont l’esprit de liberté fait écho au sien et dans laquelle il passe trois mois par an. “Le Berghain est une caverne d’un genre très différent de celle de Platon… Bien que personne n’y soit enchaîné, on ne songe pas à sortir de la caverne berlinoise”. En effet, la difficulté est plutôt d’y pénétrer : “Pour franchir le seuil, il faut convaincre les gardiens du temple que l’on y vient pas pour se montrer”. En la matière, il n’y pas de règles établies !

“La Nuit, Vivre sans témoin” (Autrement, 2017)