La question est d’actualité ! “La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer.” Comme le dit très justement Sylvain Tesson, écrivain de talent et Prix Renaudot 2019 dans son dernier livre “La panthère des neiges” (Édition Gallimard). C’est notre force et c’est, encore plus, notre faiblesse. La France, terre de paradoxes et pays des lumières. Pays des droits de l’Homme, dont les tensions actuelles exacerbées nous renvoient à ce questionnement : la France, paradis ou enfer ? Tout et son contraire ? La France, hier révolutionnaire, aujourd’hui réfractaire ? Ce paradoxe qui fait notre identité.

Enfer !

Oui, de façon très terre-à-terre lorsque l’on vit et travaille à Paris. Quand on ne peut plus circuler librement, aller et venir pour travailler, chercher ses enfants ou s’occuper de ses parents dépendants. Ces fêtes de fin d’année sont entachées, une fois de plus. Si les attentats de 2015 ont marqué un tournant, 2018 a été marqué par les Gilets Jaunes et 2019 ? En 2019 ? Rebelote. La douce trêve que je pensais acquise a volé en éclats ? Quand les grèves cumulées à un calendrier inopportun rendent la vie des français insupportable.

C’était mieux avant

Autre source de tension : le français est nostalgique. Selon un sondage IPSOS publié en 2015, 70% des français pensent que c’était mieux avant. Ça c’est un sentiment, un ressenti. C’est du subjectif mais apparemment les chiffres font mentir ce ressenti de mal être généralisé. N’oublions tout de même pas que l’on a gagné 16 ans d’espérance de vie, en bonne santé, par rapport aux années 50 et que sur de nombreux points, dont je vais faire l’économie ici, les choses se sont améliorées. Alors, comment gérer ce mal-être lié, en particulier, au sentiment de baisse de niveau de vie ? Ne rentrons pas dans les batailles d’experts ou dans les analyses d’énarques qui nous expliquent, à grand renfort de rapports illisibles, que le coût de la vie n’a pas augmenté. Même si c’est le cas, il y a un bug dans le système. Prenons l’exemple de l’accessibilité à la propriété dans la capitale. Pourquoi les français pouvaient-ils se payer, dans les années 70, un appartement décent avec, souvent, un seul salaire de cadre moyen alors qu’aujourd’hui cela est devenu quasiment impossible puisqu’il faut débourser plus de 10’000 € du mètre carré pour être propriétaire à Paris ?

Allo maman bobo

Qu’on le veuille ou non, les français ont cette sensation indicible de perte de niveau de vie : parce que la vie était plus douce “avant”, parce que l’éducation était de meilleure qualité ou, en tout cas, mieux assimilée “avant”, parce que l’humain était plus présent “avant”, parce que nous prenions plus de temps “avant” et surtout parce que, reconnaissons -le, nous avons la mélancolie de notre jeunesse.

#okboomer

Comme disait Charles Aznavour, notre cher et tendre artiste et auteur-compositeur de génie, dans “Ma Jeunesse” : “Lorsque l’on tient entre ses mains / Cette richesse / Avoir 20 ans / Des lendemains plein de promesses“… Et oui ! Tout n’est pas matériel, tout n’est pas palpable, mesurable, classable. N’en déplaise à notre classe politique. Parfois, les critères économiques s’effacent devant le ressenti d’un peuple ! Et c’est le cas aujourd’hui : les gens en ont ras-le-bol.

Paradis

Alors, certes, la France est un paradis pour la variété et la beauté de ses paysages, pour ses produits de la terre hors normes, pour sa démocratie et sa laïcité, pour sa nourriture et ses vins d’exception, pour son hégémonie dans le luxe, pour sa créativité dans les produits high-tech, pour la qualité de son système de soin et de protection sociale, pour son système de chômage hors pair…

Sur ordonnance

Énarques et techniciens de tous bords, tenez compte du “ressenti” des français et accordez-leur encore le droit de penser et de ne pas se résigner à avoir moins bien ou “à avoir la sensation d’avoir moins bien”. En attendant, pour reprendre une chanson célèbre de Michel Polnareff, sachez que “l’on ira tous au paradis mêm’ toi“. Et soyons heureux d’être français s’il en est. Sinon, je vous propose de faire, comme Sylvain Tesson et de vous expatrier au Tibet pour un temps en vous mettant à la recherche de la panthère des neiges. Concrètement ? Sortir de notre zone de confort.

Crédit photo : Pierre et Gilles