Ces dernières semaines, la France fait face à l’expression de toutes les colères. Comme si la société française avait besoin de verbaliser les non-dits trop souvent étouffés par les codes de notre société judéo-chrétienne-et patriarcale.

[colère] (latin cholera, bile, du grec kholera) État affectif violent et passager, résultant du sentiment d’une agression, d’un désagrément, traduisant un vif mécontentement et accompagné de réactions brutales

Celle des femmes envers les hommes On a assisté à une 45ème cérémonie des Césars 2020 faisant écho au mouvement #MeToo au cours de laquelle Adèle Haenel s’est levée en criant “la honte” à l’annonce de la remise du César de la Meilleure Réalisation à Roman Polanski pour le film “J’accuse” dessinant une frontière au sein du cinéma français. D’un côté les mâles blancs dominants et un réalisateur, accusé de 6 viols. De l’autre, les partisan(s) de femmes qui font valoir leurs droits quitte à faire fi de notre système de justice très lourd, récalcitrant et peu à même d’écouter les victimes et prendre en charge leurs blessures (dépôt d’une plainte, charge de la preuve, prescription etc…).

Celle des noirs contre les blancs Et c’est à nouveau lors des Césars que l’actrice Aïssa Maiga met en exergue “le peu de noirs dans la salle”. Et le défaut de représentation, dans le cinéma français (sa “famille”), de la société multiculturelle et de la diversité. Initiatrice du livre “Colletif Noire”, Aïssa Maigan n’a pas fait valider son intervention pourtant très engagée (d’ailleurs les organisateurs des Césars l’auraient-ils validé ?) et a ainsi pris de court l’ensemble des protagonistes. “On a survécu au whitebashing, au blackface, aux tonnes de rôles de dealers, de femmes de ménage à l’accent bwana, on a survécu aux rôles de terroristes, à tous les rôles de filles hyper sexualisées… et en fait, on voudrait dire “on ne va pas laisser le cinéma français tranquille”.

Celle des juifs contre l’antisémitisme Plus vaillant que jamais et l’on est mal à l’aise lorsque les médias rappellent que, selon ses propres dires, l’écrivain préféré de Adèle Haenel est Louis Ferdinand Céline, écrivain antisémite notoire s’il en est puisqu’auteur de véritables pamphlets antisémites, chantre inspiré de l’hitlérisme et grand inspirateur de la persécution raciale, dont la propre femme, Lucette, disait que ces pamphlets “étaient la source de leur malheur et qu’il fallait les oublier.

Celle des pauvres contre les riches Et c’est Virginie Despentes qui, dans sa tribune impitoyable à Libération, finit sur un uppercut “on se lève et on se barre” pour dénoncer, en écho à l’acte militant d’Adèle Haenel, “ce monde d’hommes et de profit”. Et il nous appartient de ne pas oublier que nous avons vécu, il y a un plus d’un an la Déferlante Gilets Jaunes, révolte des petites classes moyennes contre un pouvoir sourd et inaudible à leurs préoccupations. N’oublions pas non plus les manifestations en nombre contre la réforme des retraites dites “universelles”.

Celle des médecins généralistes Démunis face au coronavirus qui gagne du terrain en France. Outre les lacunes de communication, les médecins libéraux déplorent surtout la pénurie d’équipements. Eux dont rôle est en passe de devenir central dans la gestion des patients moins gravement atteints si on passe au stade 3. 

“How dare you” La colère de Greta Thunberg, 17 ans lors de la Conférence Mondiale sur le Réchauffement Climatique qui s’est tenue à l’ONU en l’absence des États-Unis d’Amérique a fait le tour du monde.  Son émotion, adressée à tous les chefs d’États et de gouvernements, a submergé la planète.

Celle des victimes de tous ordres et de tous bords Et l’on voit apparaître le #JeSuisVictime, comme un déferlement viral de toutes les colères, de toutes les rancœurs et parfois même, de toutes les haines. En premier lieu certes, les violences sexuelles et les viols mais aussi le harcèlement, la demande de pluralisme et de diversité, le militantisme pour plus d’égalité dans les représentations et les salaires, les manifestations pour raisons économiques ou sociales…

Celle qui se mondialise Hong-Kong, Chili, Liban, Algérie, Égypte, Soudan, Haïti, Venezuela, Bolivie, Barcelone… flambée de conflits sociaux et tour du monde de révoltes.

La colère est contagieuse Bref ! Chacun a sa colère en bannière. Et personne ne semble écouter personne.

Au  “on se lève et on se casse”, certes nécessaire mais violent, tribune révélatrice d’une société fragmentée, fissurée et à bout de souffle, je propose “on s’assoit et on s’écoute, on partage et on avance ensemble, on débat sans dénis et sans faux-semblants“ et, à l’instar de Sénèque, je dirais que “Lorsque … quelqu’un te met en colère, sache que c’est ton jugement qui te met en colère“.

Alors, ouvrons nos esprits à l’autre et acceptons-nous ! S’il est bon de s’indigner voire même d’exprimer une colère trop souvent camouflée, n’oublions pas que la colère peut mener à la haine et abstenons-nous d’une haine qui pourrait déclencher toutes les peurs et installer durablement le populisme.