À une période où l’on nous annonce, en France, une grève historique pour le 5 décembre 2019, où les agents SNCF rivalisent d’imagination pour déclencher des droits de retrait à répétition et perturber la vie des vacanciers, où les GAFA font leur loi, où la dette de l’État américain atteint le cap fatidique de 1’000 milliards de dollars… je déclare haut et fort que ma conscience politique est en berne. À force de tout harmoniser et de dire que tout est pareil…, (la faute à qui ?), sachez que je ne suis pas très encline à développer ma fibre sociale !

Et pourtant

Il y a un homme, de l’autre côté de la Manche, qui depuis des années me prend les tripes avec son cinéma social et engagé. Cet homme-là n’est pas un homme politique ou un agitateur d’idées que l’on voit venir de loin à la manière de Boris Johnson. Il n’utilise pas de Fake News pour atteindre son objectif à la manière de Donald Trump ou de tant d’autres. Cet homme-là est un Humaniste qui part toujours d’un cas concret, l’histoire d’un homme ou d’une femme de cette petite classe moyenne abandonnée de tous, pour nous conter ses déboires.

Témoin d’une société fracturée

Cet homme-là c’est KEN LOACH, le témoin d’une société fracturée, le témoin d’un quotidien médiocre et sans espoir pour tant de britanniques et, par capillarité, pour tant de gens, toutes nationalités confondues. Cet homme-là me scotche sur mon fauteuil de cinéma en filmant “l’infilmable”, c’est-à-dire tout ce que l’on ne veut pas voir : la précarité, le chômage, la désespérance, l’intérêt pour des quartiers populaires où la solidarité humaine pallie le manque d’engagement de l’exécutif britannique et des défaillances patentes de son administration, libérale s’il en est. Il choisit les gens des rues désœuvrées de Newcastle et non de Londres, ville adorée par les français pour son côté “so exciting !”. Il choisit des acteurs quidam et non des stars. Il relate des histoires simples pour faire le portrait de ses contemporains et nous faire réfléchir sur les problématiques de la société 2.0. Il dissèque, dérange, obsède, interpelle…

Le choc “Moi, Daniel Blake”

En 2016, j’étais restée hantée par l’histoire de son film “Moi, Daniel Blake” qui avait obtenu la Palme d’Or à Cannes (ce qui n’est forcément un critère. J’en conviens aisément mais là, cette palme s’imposait). J’étais restée longtemps habitée par le portrait de cet homme qui, parce qu’il était cardiaque, voulait mais ne pouvait plus travailler et n’arrivait pas, pour des problèmes de paperasse, à percevoir son indemnité de chômage. L’histoire de cette entraide avec une mère célibataire en situation précaire avec deux enfants à charge. L’histoire de cet homme broyé par l’indifférence d’une administration informatisée à outrance qui ne veut pas comprendre, qui ne veut pas écouter ! Pas payée pour cela !

“Sorry, We Miss You”

Aujourd’hui, Ken Loach s’attaque dans le film “Sorry, We Miss You” sorti en salles le 23 octobre, à l’uberisation et à notre esclavagisme moderne, celui consenti par nous, envers et contre nous. Certes, l’histoire n’est pas aussi “vendeuse” que celle d’un blockbuster ou d’une comédie romantique. Mais, elle doit être vue car elle fait partie de notre société. Il en va de notre conscience.

L’histoire, la voici 

Ricky, Abby et leurs deux enfants vivent à Newcastle. Leur famille est soudée et les parents se tuent au travail. Abby travaille avec dévouement pour des personnes âgées à domicile. Ricky, lui, enchaîne les jobs mal payés ; le couple réalise qu’à ce rythme-là, ils ne pourront jamais devenir indépendants ni propriétaires de leur maison. Alors, avec la révolution numérique, ils pensent que c’est maintenant ou jamais ! Abby vend sa voiture pour que Ricky puisse enfin acheter une camionnette et devenir chauffeur-livreur à son compte. Mais toute la famille va pâtir des dérives de cette évolution libérale du marché du travail…Société en dérive

Lanceur d’alerte

Et voilà. L’effet Ken Loach a encore frappé ! Une fois de plus, il est entré au plus profond de mon humanisme, de mon humanité, pour me démontrer avec des mots, des images et des plans séquence simples les dérives de notre société moderne. Il croque, tel un dessinateur de rue, sans ménagement et avec un réalisme bouleversant la perte des repères et des points d’ancrage, la dislocation des familles, l’accumulation impossible des jobs et le cercle vicieux des ennuis qui s’accumulent.

Ken Loach, le Victor Hugo 2.0

Il est le Victor Hugo 2.0. Et, croyez-moi, un film de Ken Loach remplace bien tous les grands discours et les effets de manche de nos politiques.  Alors, si pour une fois, vous voulez vous sentir “concerné”, allez voir les œuvres de ce Monsieur de 83 ans qui nous permet de réaliser, avec justesse, les faiblesses du capitalisme à outrance. C’est un acte militant. Et ce n’est pas une grande révolutionnaire qui vous le dit alors essayez !

Photo © Robin Holland