“Se taire” de Mazarine Pingeot est sans nul doute un roman incontournable de cette rentrée littéraire. Une fiction sombre et puissante qui cadre avec notre époque et l’ambiance #MeToo. Certains y voient une référence à la plainte déposée contre Nicolas Hulot par la nièce de Mazarine et qui avait été classée sans suite. Mais, le propos n’est pas là. Ce livre, pure merveille littéraire apporte un éclairage intime sur les conséquences d’un viol et du silence.

Mené avec la tension d’un thriller, Se taire raconte avec réalisme et sur une longue temporalité, le traumatisme qu’a subi Mathilde, l’héroïne du roman. Tout d’abord, le viol, à l’âge de vingt ans, mal insidieux dont elle se sent coupable, parce qu’elle n’a pas su dire non. L’état de sidération et de dislocation qui s’en suit, le poids du secret et de la parole confisquée… Mathilde est issue d’une famille d’intellectuel où le clan l’emporte sur l’individu. Se taire montre comment le silence s’organise dans la propre famille de la victime, sous prétexte de la protéger du scandale ; comment l’homme responsable du viol, un Nobel de la Paix, jouit d’une caution morale incontestable ; comment la rumeur et la réputation protègent un homme, un prédateur au-dessus de tout soupçon ; comment ce qu’il y a de plus intime et individuel, le viol du corps, va basculer en scandale collectif. Cette collision entre le vécu intérieur et la façon dont l’affaire est traitée. Au fil des pages, Mazarine Pingeot démonte un à un, les mécanismes psychologiques de répétition et de domination, bâtissant une intrigue passionnante. Le poids du silence se fait de plus en plus pervers, maintenant Mathilde dans son statut de victime. Le trauma continue à grossir en elle comme un petit cancer, sa vie dirigée par ce qu’elle a vécu. Un ravage que la justice, pas adaptée à ce type de crime, est incapable de réparer.

Se taire, de Mazarine Pingeot, Éditions Julliard.

Portrait Mazarine Pingeot ©BALTEL/SIPA / SIPA