Peter Beard est mort “là où il aimait vivre” a indiqué sa famille. Dans la nature. Porté disparu depuis le 31 mars, son corps a été retrouvé non loin de son domicile de Montauk, à l’extrémité Est de Long Island. Il avait 82 ans. C’est là qu’il avait choisi de passer la période du confinement avec son chien, Nej. Photographe, écrivain, aventurier, écologiste avant l’heure, défendeur de la cause africaine, artiste, mondain, fêtard et séducteur, Peter Beard défie toute catégorisation. Son art instantanément reconnaissable – patchworks uniques et chaotiques de photographies originales, de sang étalé, d’écritures et croquis à l’encre finement dessinés – avait gagné une reconnaissance internationale. Hasard du calendrier, sort ce mois-ci chez Taschen une réédition du livre “Peter Beard” publié en 2006 et aujourd’hui introuvable. Retour sur un artiste iconoclaste, “moitié Tarzan, moitié Byron” ainsi que le décrit Bob Colacello dans Holy Terror, son livre sur Andy Warhol.

Talentueux et iconoclaste, jamais ennuyeux

Homme de tous les contrastes, Beard était aussi à l’aise au Kenya que dans les Hamptons, avec les Massaïs ou la jet-set, dans la nature que dans les boîtes de nuit new-yorkaises (dont le fameux Studio 54 dans les années 70). Beard qui a grandi dans l’Upper East Side de Manhattan était l’héritier d’une fortune faite par son arrière-grand-père fondateur de la Great Northern Railway du côté de sa mère. Et du côté paternel, son grand-père était l’héritier du tabac Pierre Lorillard. Des études à Yale d’abord comme étudiant en médecine, avant de changer de spécialité pour les beaux-arts. il comptait parmi ses amis des rock stars, des artistes, des acteurs et des mannequins tels qu’Andy Warhol, Francis Bacon, Jackie Onassis, Truman Capote, Salvador Dalí, Mick et Bianca Jagger, Andrew Wyeth, Richard Lindner, Catherine Deneuve, Lauren Hutton et Janice Dickinson.

Peter Beard (3e à partir de la gauche) en compagnie de mannequins au Studio 54 à New York en 1978/AFP.

“Moitié Tarzan, moitié Byron”

C’est ainsi que Bob Colacello le décrit ainsi dans Holy Terror, son livre sur Andy Warhol. Il était si beau et charismatique que des hommes et des femmes tombaient à ses pieds. Peter Beard, un séducteur né qui ne cachera pas son penchant pour l’alcool, la drogue et les femmes. Un premier mariage de courte durée avec la mondaine Minnie Cushing. Puis une succession de petites amies dont Candice Bergen, Barbara Allen, Dorothy McGowan, Carole Bouquet et Lee Radziwil… un deuxème mariage avec le top Cheryl Tiegs au sommet de sa carrière dans les années 1980. Puis un troisième avec Nejma Khanum avec laquelle il aura Zara, née en 1998, et qui lui a inspiré à l’écriture des Contes de Zara : Zara’s Tales : Perilous Escapades in Equatorial Africa. Un récit autobiographique des aventures de sa vie publié en 2004.

Peter Beard travaillant sur ses journaux intimes ou ses collages dans “Hog ranch”, photographie Guillaume Bonn 1998

Histoire d’amour avec l’Afrique

Il s’est rendu pour la première fois au Kenya à 17 ans, pour travailler avec le petit-fils de Charles Darwin et l’explorateur Quentin George Keynes sur un documentaire sur les rhinocéros. Mais son histoire d’amour avec ce continent a commencé juste après sa sortie de Yale, lorsqu’il est retourné au Kenya pour documenter la situation critique de plus de trente-cinq mille éléphants, cinq mille rhinocéros noirs et d’autres animaux sauvages qui meurent de faim dans un désert d’arbres mangés dans le parc national de Tsavo. Ces images graphiques et parfois choquantes ont constitué le cœur de son premier livre, The End of the Game, publié en 1965. C’est la romancière Karen Blixen (Out of Africa entre autres), qui l’encourage à s’installer au Kenya. Beard achète une propriété d’une vingtaine d’hectares près de Ngong Hills, aux portes de Nairobi.

Photography Peter Beard: Maureen Gallagher at Hog Ranch

Des séries mode en Afrique

Au début des années 70, les magazines Harper’s Bazaar et Vogue font appel à lui. En tant que photographe de mode, il a emmené des stars de Vogue comme Veruschka en Afrique et en a ramené de nouvelles, notamment Iman. Mais Beard continue à se concentrer sur l’impact de l’humanité sur la faune et la flore, éveillant les consciences écologiques bien avant que l’environnement ne devienne une question importante. Son deuxième livre, Eyelids of the Morning ; The Mingled Destinies of Crocodiles and Men, est publié en 1973. Suivra dans la foulée un troisième livre Longing for Darkness : Kamante’s Tales from Out of Africa (inspiré de Out of Africa de Karen Blixen et comportant une postface de Jackie Onassis) a été publié en 1975.

Journal intime

Dès l’âge de dix ans, il commence à tenir un journal intime, illustrés de clichés. Il le poursuivra toute sa vie. Combinaison complexe de photographie et de collage, les journaux intimes complexes de Beard, rassemblent des planches contact, des coupures de journaux, de magazines, une variété infinie d’objets et de débris trouvés aussi divers que des feuilles séchées, des insectes, des os… ou des emballages de nourriture. Sont agrémentés de notes manuscrites, de citations, de taches de sang.

Embroché par une défense d’éléphant

En septembre 1996, Beard et quelques amis ont été attaqués par quinze éléphants à la frontière kenyane et tanzanienne. La matriarche lui a enfoncé une défense dans la cuisse et lui a écrasé les côtes et le bassin avec son front. Il a failli se vider de son sang pendant les quatre heures de route pour se rendre à l’hôpital le plus proche. Une opération de dix heures à l’hôpital St Vincent de New York lui a laissé sept plaques de titane et 28 vis dans son bassin brisé. 

Peter Beard for “In My Stairwell” series by Mark Seliger, NYC Charles Street

Adulte vulnérable

Le 1er avril 2020 pour retrouver l’artiste, l’avis de recherche publié par le New York Times, qualifiait Beard “d’adulte vulnérable” en raison de troubles cognitifs qui commençaient à le frapper. Un homme libre !

Artiste baroudeur

“Voici un homme qui avait regardé à travers son objectif pour charger des lions et qui marchait calmement parmi des éléphants imprévisibles, qui se faufilait dans la boue du lac Rudolf pour chasser les crocodiles mangeurs d’hommes au téléobjectif et au fusil, qui portait des sandales africaines pendant les jours les plus froids de l’hiver new-yorkais, qui passait du temps avec Francis Bacon et Karen Blixen, Mick Jagger et Andy Warhol” déclare Owen Edwards dans son introduction au livre de Taschen sur l’artiste et l’aventurier.

Peter Beard, Nejma Beard Relié, 25,8 x 37,4 cm, 770 pages € 100 / US$ 150