Pendant longtemps, j’ai boudé Vienne comme destination. Certainement à cause d’une petite tendance extrémiste qui me déplaisait fortement. Aujourd’hui, la tendance populiste ayant pris d’assaut une partie importante de l’Europe, j’ai voulu voir ; j’ai voulu comprendre.

Sissi face à son destin (1957), troisième et ultime volet de la saga Sissi. Le film, qui a enregistré un succès triomphal dans le monde entier, a offert la consécration à Romy Schneider.

Au commencement, il y eut Sissi et tous ces films “chichi ponpon” qui ont marqué notre enfance, magistralement interprétés par une Romy Schneider à peine sortie de l’enfance. Certes, le mariage impérial de Sissi à la Cour d‘Autriche avec François Joseph le 25 avril 1854 fut un événement majeur de l’histoire de l’Autriche. Le couple le plus romantique de tous les temps a échangé ses vœux de mariage sous les voûtes de l’église des Augustins, accompagné par la ferveur de tout un peuple en liesse.

Puis, très vite, il y eut mon intérêt non dissimulé pour cette intelligentsia viennoise si puissante au début du vingtième siècle et à son paroxysme dans les années 1930 et qui, par l’effet de l’histoire, s’est disséminée aux quatre coins du monde pour fuir le nazisme. Certaines mauvaises langues seraient fondées à dire qu’on les a beaucoup aidés à disparaitre par la montée en puissance d’un antisémitisme de salon puis d’une extermination définitive.

Chateau de Schonbrunn

Quant à mon intérêt pour Vienne, il fut réactivé, l’été dernier, par la lecture de ce roman de Catherine Bardon “Les Déracinés” qui m’a littéralement envoutée. J’ai voulu, je l’avoue aisément, marcher sur les traces de ses deux héros Almah et Wilehm dans la Vienne brillante et cultivée des années 1930. Après l’Anschluss, le climat de plus en plus hostile aux juifs les pousse à quitter leur ville natale avant qu’il ne soit trop tard. Et justement, ce sont leurs longues promenades dans les plus belles artères de Vienne qui m’ont fascinée. Almah, juive “aristocrate”, fille d’un brillant chirurgien et d’une pianiste émérite, adepte de Freud. Jeune femme longiligne à la longue chevelure blonde et aux bleus persans, persuadée que son statut social, son carnet d’adresse et sa fortune la protégerait de la barbarie nazie. Wilehm, journaliste et intellectuel de gauche, fils d’un simple imprimeur, fervent amateur d’arts et de polémiques, naïvement persuadé que rien ni personne ne pourrait les atteindre.

Construit au XVIIIe siècle comme résidence d’été pour le prince Eugène de Savoie, le palais du Belvédère compte parmi les plus beaux bâtiments impériaux d’Europe. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, il abrite la plus grande collection de Gustav Klimt au monde, ainsi que des chefs-d’œuvre de Schiele et Koloschka.

J’ai voulu rencontrer Freud, Klimt, Schiele, connaître leurs cafés, aller à l’opéra, marcher sur leurs pas en parcourant les 5 km du ring, m’étourdir à Karlsplatz ou Stephanplatz, me perdre dans les allées romantiques et boisées du Prater. Je me suis aussi souvenu de “La Dame en Or”, sublime tableau de de Gustav Klimt, l’un des plus célèbres au monde. Le modèle du peintre, au regard si mélancolique, s’appelait Adèle Bloch-Bauer. Mariée à dix-huit ans à un homme qui l’adorait mais était bien plus âgé qu’elle, Adèle vivait dans la Vienne de la grande époque. Son salon attirait les esprits brillants et les artistes à la mode dont Gustave Klimt qui, à la demande de son mari, fit un tableau d’elle posant avec un somptueux collier composé de plusieurs rangs de diamants, sa longue chevelure noire relevée en chignon. Klimt appartenait à l’école de l’Art Nouveau. Il était l’un des Artistes que la haute société viennoise s’arrachait. Il avait rompu avec la peinture traditionnelle et créé, en 1897, un nouveau langage appelé la Sécession Viennoise avec ses amis Moser et Schiele. Quelle fut la nature exacte de la relation entre Adèle Bloch Bauer et Gustav Klimt ? Ce dernier, Peintre génial et provocateur, multipliait les liaisons et choquait la bonne société. A t-il conquis l’une des femmes les plus admirées de Vienne ? Adèle est morte, jeune, emportant avec elle son secret.

Adèle Bloch-Bauer, c’est la seule femme dont Gustav Klimt a réalisé le portrait à deux reprises. C’est la femme de Ferdinand Bloch-Bauer qui a fait fortune dans le sucre. Le couple soutient par le mécénat la Sécession viennoise, notamment Klimt. En 1907, le peintre réalise le premier portrait d’Adèle Bloch-Bauer. Son format carré (140 x 140 cm) ainsi que le travail de la feuille d’or lui confère une valeur quasi iconique.

Mais rien ne vous empêche de lire les chroniques dans Paris Match et l’excellent livre de Valérie Trierweiler, Le Secret d’Adèle, à ce sujet. Quoiqu’il en soit, il fallut attendre près de soixante ans pour que la nièce d’Adèle Bloch Bauer, Maria Altman, puisse récupérer le tableau de sa tante volé par Goring et le ramener aux États-Unis après un combat juridique sanglant avec l’Autriche qui ne souhaitait pas le restituer à son héritière. C’est pour tout cela que j’étais réticente à découvrir Vienne.

Mais j’y suis allée, faisant fi du passé, pour vivre une expérience inédite car accompagnée, dans ma tête seulement, vous l’aurez bien compris, de personnalités de choix et de personnages de fiction. Je voulais déambuler, dans les rues et les cafés littéraires et côtoyer l’Intelligentsia viennoise des années 30 aujourd’hui en grande partie décimée.

WIENER STAATSOPER

Quand on part à Vienne, c’est avant tout pour la musique, l’opéra et la saison des bals. Il vous faudra donc réserver, bien avant votre départ, vos places. Pour ma part, j’ai assisté à un opéra de 3 heures “Ariodante” de Georg Friedrich Handel au Wiener Staatsoper. Divin ! Voix, orchestre, décors et costumes ont été à la hauteur de mes attentes. Prévoir un budget d’au moins 500 € pour deux personnes et des tenues de soirée (même s’il existera toujours quelques “gros lourds” qui se pointent à l’Opéra en Ugg et jean !).

En arrivant à Vienne, commencez par faire le tour du Ring à pied ou en tram. Ce boulevard de 5 km est bordé de nombreux parcs comme le célèbre Burggarten et de prestigieux monuments tels l’Opéra, l’Hôtel de Ville… Réservez un hôtel central à savoir proche de la Karl Platz. Si vous êtes en fond, réservez au Park Hyatt qui prend place au cœur de la vieille ville, à quelques pas du célèbre Graben ou de la cathédrale Saint Étienne. L’hôtel, ancienne banque austro-hongroise, occupe un bâtiment vieux de 100 ans. N’y manquez pas le dîner au restaurant “La Banque” dans l’ancienne salle des coffres de la banque. Vous aurez l’impression de faire le casse du siècle mais Achtung : ici, c’est vous qui payez !

CATHÉDRALE SAINT ÉTIENNE

À défaut, privilégiez l’emplacement et choisissez, par exemple le Grand Hotel Wien, un ancien Palais des Habsbourg transformé en hôtel cinq étoiles. Sachez néanmoins que si le hall et les parties communes sont impressionnants, les chambres sont confortables mais un peu vieillottes… Le charme discret des Habsbourg oblige !

Après, déambulez à pied : visitez l’opéra, la cathédrale Saint -Étienne; léchez les vitrines du Graben, allez aux musées. Le Graben est la grande artère piétonne de la ville. Vous y passerez obligatoirement en vous rendant sur d’autres points d’intérêt. Vous ne pouvez pas louper la colonne de la Peste, qui y trône en son centre. Comme nous sommes bientôt en hiver, saison privilégiée pour la visite de cette ville, n’hésitez pas à fréquenter les salons de thé et à y découvrir les spécialités locales. Pour ma part, le chocolat viennois (avec crème) et applestrudel ont fait mon bonheur. Consommez-le, de préférence, chez Demel où l’impératrice Élizabeth avait pour coutume d’acheter ses langues de chat. Derrière sa façade baroque, la plus célèbre pâtisserie d’Autriche n’est pas seulement un temple de la gourmandise. C’est aussi un monument historique. Par curiosité, faites un tour dans le H&M ouvert dans une vieille enseigne art déco, l’ascenseur à lui seul vaut le détour !

En effet, l’intérêt du Graben réside principalement dans les splendides façades des édifices viennois. C’est également sur Graben que démarre le célèbre orchestre traditionnel Hoch und Deutschmeister Band que l’on peut suivre jusqu’à la Hofburg. On a l’impression de se retrouver dans la Vienne Impériale !

Vous pourrez également visiter la cathédrale Saint-Etienne, chef-d’œuvre gothique et l’Albertina Museum. Jusqu’au 20 janvier, une exposition d’Albrecht Dürer, grand peintre et graveur de la Renaissance Allemande qui fut en contact avec de nombreux maîtres italiens de l’époque tels que Raphaël ou Léonard de Vinci. Avec presque 140 œuvres, l’Albertina possède la plus importante collection de dessins d’Albrecht Dürer (1471-1528), dont la plupart sont rarement exposés au public. Cette collection se concentre davantage sur les portraits de famille, les études sur les animaux et les plantes, et les études sur la tête, les mains et la robe. Il n’a pas été le premier à faire de telles études, mais sa perfection technique et artistique le distingue nettement des autres.

Mais revenons à Almah et Wilehm et, en leur honneur, allons visiter la juddenplatz, monument commémoratif de la Shoah ainsi que le Musée Juif installé dans le Palais Eskelles et surtout rappelons-nous qu’entre 1939 et 1945, plus de 65 000 juifs ont été déportés et massacrés dans les camps de concentration nazis.

ZUM SCHWARZEN KAMEEL

Pour vous étourdir à nouveau, je vous suggère une halte au Zum Schwarzen Kameel, – fantastique café et restaurant où vous pourrez déguster, à votre guise et avec nappe blanche et argenterie, un simple café ou un fastueux repas. Le Lieu est ouvert tous les jours de 9h00 à 23h00 sans discontinuité. Le Maître des lieux, toujours présent et arborant costume traditionnel et moustaches ballantes, vous y accueillera avec sourire et bonne humeur, traits révélateurs du caractère autrichien s’il en est ! Le mieux est de vous attabler dehors, sous des chauffages extérieurs ou même des plaids, et de profiter de l’art de vivre à la viennoise. Pour ne rien gâcher, vous y aurez une vue imprenable sur les plus belles boutiques de Vienne (Loro Piana, Prada, Chanel etc…).

Situé à proximité du Prater, le nouveau campus de l’université de sciences économiques de Vienne a été conçu par des bureaux d’architecte de renommée mondiale. En particulier la bibliothèque construite par Zaha Hadid, se démarque du premier coup d’œil.

Je ne pouvais finir mon périple sans nourrir ma curiosité en décidant de me rendre là où Sigmund Freud avait exercé. Quelle déception ! Certes, je savais que son véritable bureau figurait à Londres, endroit où ce dernier s’était réfugié après l’Anschluss. Mais, un mauvais coup du sort a fait que des travaux de rénovation sont en cours à l’endroit même où il a vécu et exercé pendant près d’un demi-siècle (de 1891 à 1938).au numéro 19 de la Berggasse. Je me suis donc retrouvée “déportée” quelques numéros plus loin (au numéro 13) et j’ai dû me contenter de quelques médiocres objets personnels, photographies, films d’époque et simples manuscrits. Pour les afficionados du père de la psychologie, sachez donc que le véritable Musée Sigmund Freud sera fermé jusqu’en mai 2020 et ne vous contentez pas de cet Ersatz de musée.

Heureusement, je suis allée panser mes plaies juste à côté au Café Stein, café branché, intergénérationnel et extrêmement sympathique. Vous pourrez y déguster d’excellents Schnitzel à deux pour 30€. Et oui ! En dehors des espaces verts et de la propreté irréprochable, Vienne est une ville où taxis et restauration sont extrêmement abordables. Les gens y sont, en outre, gentils et bienveillants, ce qui ne gâche rien !

À ce stade, vous aurez déjà une bonne idée de ce que fût et de ce qu’est Vienne aujourd’hui. Mais surtout ne faites pas l’impasse sur la balade du Prater, parc de 38 hectares, grande étendue verte au sein de Vienne comme Central Park au sein de New York où se dresse une Grande Roue, un des emblèmes viennois les plus célèbres. Située entre le Danube et le canal du Danube, vous pourrez facilement y accéder en tram, en bus ou en métro. Évitez absolument le côté “fête foraine” et isolez-vous pour une balade en pleine forêt Vous allez adorer ! Alors que l’Empereur Maximilien avait fait clôturer ces bois et prés en terrain de chasse réservée aux membres de la Maison des Habsbourg en 1560, le jeune Empereur Joseph II décida de l’ouvrir au public deux siècles plus tard (en 1766) par souci de démocratisation. Cette ouverture du Prater fut suivie d’un réel engouement des viennois pour cet endroit qui devint le témoin de moult rendez-vous galants ou rencontres en duel. Laissez votre imagination courir !

Pour conclure votre séjour, organisez-vous un petit dîner sans chichi chez Huth ou bien, un bal ou un concert en robe longue et smoking, dans un de ces magnifiques Palais des Habsbourg. Et, en partant de Vienne, repu d’avoir trop mangé et trop marché, n’oubliez pas la bonhomie de cette ville, son goût de l’art et particulièrement de la musique, sa propreté et surtout la gentillesse des viennois.