Le monde des crypto-monnaies vous semble totalement abstrait ? Vous êtes même allergiques aux termes comme blockchain, mining, FinTech, tokenisation… Au mieux, vous avez entendu parler du Bitcoin… Vous admettez votre ignorance et surtout, vous pensez que ces nouvelles technologies, aux termes barbares, ne vous concernent pas. Erreur. Réveillez-vous ! Elles ont déjà des répercussions réelles sur nos modes de vie ! Décryptage avec Eddy Travia, figure incontournable de la crypto et CEO de Coinsilium Group Ltd1.

Eddy Travia, CEO de Coinsilium Group Ltd

Pouvez-vous nous faire un résumé de votre carrière ?
Eddy Travia, 49 ans, cela fait désormais 15 ans que je travaille dans le secteur de l’investissement dans des entreprises de technologie. Et plus précisément, cela fait 6 ans que je dirige des investissements dans des entreprises développant des solutions utilisant la technologie blockchain.

À l’origine de la blockchain, le Bitcoin ? Comment votre intérêt pour le Bitcoin est-il né ?
J’ai entendu le terme “Bitcoin” pour la première fois fin 2012. J’ai ensuite passé quelques mois à m’éduquer sur le sujet et ce que j’ai découvert m’a convaincu du potentiel de ce nouveau moyen de paiement et décidé de concentrer mon temps et mon énergie à soutenir l’écosystème naissant des crypto-monnaies. Les deux éléments déclencheurs furent (1) la crise économique Chypriote en Avril 2013 pendant laquelle le gouvernement a dû ponctionner une partie des fonds déposés dans des comptes bancaires afin de renflouer les finances de l’état en faillite et (2) j’ai suivi la levée de fonds de quelques millions de dollars dans une entreprise d’échange de crypto-monnaies en Californie, “Coinbase”, dont la valorisation est aujourd’hui estimée à 8 milliards de dollars. En 2013, la petite mais grandissante communauté d’entrepreneurs “Bitcoin” était focalisée sur les solutions transactionnelles que facilitaient le réseau Bitcoin comme par exemple les envois d’argent, les échanges entre le bitcoin et d’autres monnaies et les portefeuilles électroniques.

C’est donc à ce moment-là que vous avez monté votre première société ?
Avec mes associés nous avons fondé, en Juin 2013, le premier incubateur global de start-ups Bitcoin. Et en Novembre 2013, nous organisions à Singapour la première conférence sur ce thème en Asie, “Bitcoin Singapore 2013” L’objectif premier était d’aider les entrepreneurs où qu’ils soient à lever des fonds, d’acquérir les compétences nécessaires afin de naviguer dans le monde complexe des échanges internationaux et de la “fintech” (NDRL les technologies financières). La monnaie bitcoin ne connait pas de frontières mais les lois et les réglementations sur les échanges de valeur sont en vigueur dans chaque juridiction locale et inadaptées aux applications de ces nouvelles technologies comme les crypto-monnaies.

On parle de la blockchain comme d’une technologie qui révolutionne le XXIe siècle ? Qu’en est-il ?
Commençons par la définition technique standard : une Blockchain est une structure de données permettant la création d’un registre de données numérique partagé. Les transactions sont regroupées dans des blocs ; ces blocs forment une base de données décentralisée et en croissance constante dupliquée sur des milliers de nœuds de réseau. Je préfère présenter la blockchain comme l’évolution du registre comptable du XXIe siècle qui combine la cryptographie (pour protéger le système contre les risques de corruption des données) et les techniques de réseaux distribués pour offrir un système décentralisé et sécurisé d’échange de valeur.

Ses applications vont bien au-delà de la vision initiale des monnaies numériques à des fins de paiement ? 
Il existe de très nombreuses applications de la blockchain en dehors des échanges de crypto-monnaies. La plupart des applications permettent de garantir que des données ont bien été enregistrées dans une structure à un moment précis, ceci est une des fonctions premières de la blockchain, une fonction de garantie que cette entrée ne puisse être altérée ultérieurement. Parmi les applications nous pouvons citer le suivi des informations d’entreprises comme les registres d’actionnaires, le suivi des marchandises en transit, la provenance des produits, le suivi de données médicales, systèmes de vote, distribution de paiements de royalties, solutions de micro-assurance (assurance à l’utilisation), paiements de coupons périodiques, règlements et compensation entre contreparties.

Lorsque l’on évoque le terme crypto monnaie, on pense immédiatement à Bitcoin, Ether, Ripple etc…

Quelles sont les tendances actuelles en matière de crypto-monnaies ?
Les tendances actuelles sont orientées vers des nouveaux modèles de gouvernance des protocoles blockchain au sein desquels les détenteurs de crypto-monnaies ont des rôles plus actifs, par exemple des validateurs ou des validateurs-délégués. Ces nouveaux rôles ouvrent la voie vers de nouveaux modèles économiques comme le “staking” qui consiste à dériver des revenus de ses crypto-monnaies plutôt que simplement d’attendre l’appréciation de leur prix. Une autre tendance majeure est la “tokenisation” d’actifs, une technique consistant à transformer tout actif en un jeton échangeable et pouvant être doté de fonctionnalités intrinsèques diverses. Cette technique a le potentiel de transformer en profondeur les marchés financiers, d’écourter les délais de règlement et d’enrichir les données liées aux titres de valeurs mobilières. Ces tendances ont un fil conducteur commun, celui de passer d’une ère d’actifs statiques et unidimensionnels à des actifs intelligents et pluridimensionnels.

Quels sont les termes avec lesquels nous devons nous familiariser ?
Les premiers termes importants concernent les notions de clés publiques et clés privées ; grâce aux clés publiques sont générées les adresses pour recevoir des bitcoins par exemple et la clé privée associée à une adresse est impérative afin de déplacer ces bitcoins, sans clé privée vous ne pouvez accéder à vos bitcoins ou à vos crypto-monnaies en général, c’est pour cela que la première règle est “vos clés privées, vos crypto-monnaies”.

Miner, mineur, usine de minage… on parle de quoi exactement ?
Les mineurs ont effectivement un rôle essentiel dans la plupart des blockchains, ce sont les mineurs qui sécurisent le réseau à travers la puissance de calcul qu’ils fournissent au réseau. Le nom ‘miner’ vient de l’analogie avec une machine qui essaie d’extraire des métaux précieux et nécessite beaucoup d’énergie afin d’extraire une petite quantité de ces métaux. Les usines de minage sont des fermes de serveurs uniquement dédiés au minage de crypto monnaies. Certaines crypto monnaies n’utilisent pas de mineurs mais des validateurs qui doivent détenir des jetons natifs afin de jouer ce rôle de validation de transactions.

Coinsilium Group se concentre sur l’investissement dans les Fintech (Financial Technology) soit Technologies Financières. Pouvez-vous nous expliquer ?
Coinsilium Group, la société que j’ai co-fondée en 2014, se concentre sur l’investissement dans les entreprises utilisant la technologie blockchain, pas uniquement dans les FinTech. En 2014, les opportunités d’investissements dans le secteur blockchain étaient majoritairement dans des applications facilitant les transactions et des échanges de crypto-monnaies (portefeuilles électroniques, plateformes d’échanges de crypto-monnaies, processeurs de paiements). Les années suivantes nous avons reçu des sollicitations d’investissement d’applications blockchain dans de nouveaux secteurs comme la santé, le recrutement, l’immobilier, l’assurance… Il est apparu évident que cette technologie pouvait s’intégrer auprès un large éventail de secteurs de services et d’industrie et cela a considérablement étendu la portée et les montants en besoins de financement. Cela a bénéficié à tout l’écosystème blockchain, fonds et sociétés d’investissement inclus.

Quel est l’avenir du système bancaire ? Finance traditionnelle et finance moderne compatibilité ?
Comme dans toutes les industries il existe un cycle d’innovation et de ‘disruption’ des nouveaux entrants qui souvent est bouclé par une phase de consolidation pendant laquelle les grandes entreprises traditionnelles rachètent les jeunes entreprises innovantes. Il arrive, comme dans la musique ou le voyage par exemple, que les grandes entreprises traditionnelles soient affaiblies par des changements fondamentaux du marché et rachetées par les nouveaux venus. Mais, dans le secteur financier, les David ne rachètent pas les Goliath. Les jeunes entreprises du monde FinTech n’ont pas réussi à sérieusement inquiéter les grandes banques ; le système bancaire a subi les effets de grandes crises économiques comme celle de 2008 mais n’a pas subi d’effet Napster ou Uber comme d’autres secteurs jusqu’à présent.

Les deux sont condamnées à cohabiter… 
En fait la finance moderne a démontré à de nombreuses reprises qu’elle a besoin de la finance traditionnelle pour survivre. Je suis favorable à un environnement compétitif juste et sain pour le bénéfice des consommateurs de services financiers et les banques utilisent trop souvent la situation d’oligopole du secteur afin de freiner le développement des nouveaux concurrents, par exemple en refusant de les servir comme ceci est le cas pour de nombreuses entreprises blockchains et fintech. Je pense que les banques vont devoir s’adapter à l’arrivée de concurrents plus agiles et moins chers et j’espère que le marché sera plus ouvert et accessible aux entrepreneurs dans le futur.

Bien que volatiles, les crypto-monnaies doivent être abordées comme un investissement sur le long terme ? Votre conseil ? On achète quoi et à qui ?
Aujourd’hui, les personnes qui désirent investir dans les crypto-monnaies ont accès à un grand nombre d’outils d’analyse et de performance historique (comme Blox.io) avant de prendre leurs décisions. Bitcoin et Ether sont des crypto-monnaies ayant été activement échangées depuis plusieurs années avec des volumes de plusieurs milliards d’euros par jour. Il est préférable, pour ceux, intéressés de s’aventurer à investir dans des crypto-monnaies, de commencer par apprendre quelques bases techniques, par exemple l’utilisation d’un portefeuille physique comme Ledger (ou Trezor ou KeepKey), la protection de comptes avec des applications mobiles comme Google Authenticator. Il est préférable de n’acheter que sur des échanges connus et évitez des achats impulsifs de crypto-monnaies peu connues et portées par des équipes sans réputation vérifiable. En bref, pas de précipitation, observez les marchés, faites votre propre recherche et conservez vos clés de manière sécurisée.

On a beaucoup parlé de l’anonymat dans les transactions ? Qu’en est-il ?
Sur la plupart des blockchains l’anonymat n’existe pas. Nous pourrions parler de “pseudonymie” dans le sens où les transactions entre diverses adresses sont visibles mais les identités des propriétaires de ces adresses ne le sont pas. Toutefois, il existe de nombreuses solutions pour obtenir les identités des propriétaires et dans les cas difficiles (comme ceux liés à des fraudes informatiques) des entreprises spécialisées dans l’analyse des blockchains sont capables, par un travail d’investigation classique et informatique, d’identifier les bénéficiaires de ces adresses. Certaines crypto-monnaies ont été créées dans le but précis de rendre les transactions anonymes mais dans la pratique ceci est beaucoup plus difficile que ce que les médias pourraient laisser penser. Les espèces restent donc la forme la plus efficace d’anonymat et les crypto monnaies sont en fait la forme de valeur la plus transparente et donc la moins propice aux malversations car je vous rappelle que tout l’historique des transactions reste enregistré, sécurisé et visible sur la blockchain.

À force de décentraliser, de dématérialiser, n’est-il pas nécessaire de revenir à concept de support matériel, un billet de banque capable de stocker nos crypto-monnaies ?
Les systèmes bancaires et financiers sont encore très centralisés. La tendance vers la décentralisation des services financiers est récente et en grande partie provient de la méfiance du public après les opérations de “bail-out” ou de renflouement des banques privées par des fonds publics en réponse à la crise de 2008. La décentralisation des systèmes financiers rend ces systèmes plus indépendants et plus résistants aux futures crises économiques. Dans le monde des paiements actuels il est clair que les paiements dématérialisés, comme les transferts électroniques dominent les transactions, surtout dans les marchés développés. La dominance est moindre dans les marchés émergents ou les transactions en liquide sont encore très populaires. Un support matériel combinant les avantages d’un moyen de paiement en liquide (c.a.d. transmissible physiquement de la main à la main) et capable de stocker des crypto-monnaies de manière sécurisée sur le long terme comme par exemple les billets produits par la société Tangem peut être une solution facilitant l’adoption des crypto-monnaies par une utilisation s’affranchissant de certaines barrières techniques propres au secteur.

Qui est donc Satoshi Nakamoto ?

Pouvez-vous nous dire qui est vraiment Satoshi Nakamoto ? Certains ont récemment déclaré sur Twitter lui avoir parlé…
Il serait une erreur de nommer qui se cache derrière le pseudonyme de Satoshi Nakamoto, l’auteur du “papier blanc” expliquant le système Bitcoin. Tout d’abord, par respect de la volonté de l’auteur qui a réussi à garder l’anonymat depuis 2008, l’année de la publication du papier blanc, et de plus, cela pourrait fragiliser Bitcoin. Le réseau Bitcoin est géré par un protocole et des acteurs qui le suivent et proposent régulièrement des modifications (améliorations) à ce protocole ; tout cela sans une autorité centrale. L’absence d’autorité centrale ainsi que l’anonymat de l’auteur du papier sur le Bitcoin protègent le réseau d’ingérences qui, in fine, affaibliraient le réseau.

 

1- Coinsilium Group Ltd est une firme implantée à Londres qui investit dans des entreprises liées à la technologie blockchain, avec un fort penchant pour son utilisation dans l’industrie financière : la Fintech. Cotée en Bourse sur le marché NEX.

 

Avertissement : les réponses apportées par Eddy Travia ne constituent pas un conseil d’investissement dans aucune société ni crypto-monnaie et ne doivent pas être interprétées comme un conseil d’investissement par les lecteurs. L’auteur des réponses ayant des intérêts économiques dans des entreprises ou des crypto-monnaies citées dans l’article, ce dernier souhaitait en informer nos lectrices et lecteurs.