Un couple hétéro, 3 enfants, trois garçons… Élevés comme des garçons. L’ainé rencontre une femme à l’autre du monde, se marie et crée une famille. Le cadet rencontre une femme, n’est pas encore marié, mais c’est tout comme… Le benjamin fait de grandes études, fait la fête, souvent, travaille le reste du temps. Il voyage beaucoup, toujours très loin. Il est entouré tout le temps de jolies jeunes femmes. Elles aussi font de grandes études, les mêmes d’ailleurs. Ces gens-là forment une espèce de communauté, ils vivent, s’enivrent, dorment et se marient ensemble. Un jour, qui était un soir, le benjamin nous convoque à son domicile pour un dîner, comme ça, parce qu’on ne se voit pas si souvent finalement. Alors on y va, emportant avec nous de quoi tenir un siège question bouffe ; des parents quoi !

… il nous regarde et nous lance : “j’ai un truc à vous dire, et ce n’est pas facile à dire.”

On dîne, on se marre en écoutant ses anecdotes de voyages et aussi celles de ses stages à l’hôpital ou pendant les révisions à la B.U. (Bibliothèque Universitaire). Ça commence à devenir sérieux ses études, déjà en sixième année, P….., ça passe vite. Tout à coup, juste après avoir bu une longue goulée d’un vin blanc bio, il nous regarde et nous lance : “j’ai un truc à vous dire, et ce n’est pas facile à dire.” Oh merde que je m’suis dit. C’est sûr, il va nous annoncer qu’il est homo ou qu’il a mis une de ses copines enceinte. “Voilà, je suis homo, mais ce n’est pas de ma faute”. Je me suis levé, je l’ai pris dans mes bras en lui disant qu’il fallait avoir du courage pour se libérer d’un poids qui ne devrait pas en être un. On s’est regardé dans les yeux, il m’a souri, je crois que j’ai pleuré… Ma femme était là aussi, elle s’est jetée à son cou en lui disant qu’elle l’aimait. Elle, elle pleurait c’est sûr. Nous étions tous les trois debout, blottis, enlacés, tremblant, les yeux chargés de larmes, des larmes d’émotions, de joie, mais aussi de tristesse. Une tristesse tendre et délicate, enveloppée d’une fine peau de mélancolie.

“Voilà, je suis homo, mais ce n’est pas de ma faute”.

C’est à cet instant que le film se déroule à l’envers.

C’est drôle, mais nous le savions depuis longtemps. Dès l’âge de 6 ans. Il y avait des signes, des petits riens… Les années passent, l’adolescence, les filles, les garçons, les soirées, la plage. Nous n’avons jamais su s’il avait eu à cette époque une petite amie, elles étaient si nombreuses à vouloir lui tenir la main ou poser leur tête sur son épaule. Il était (pour nous) un incroyable séducteur ou…

Un jour, beaucoup plus tard, il devait être en deuxième année, je lui ai demandé d’une manière très directe s’il était homo ? J’ai posé cette question, car elle nous brûlait depuis un moment. Ma femme sans cesse lui demandait “qui est cette jeune fille près de toi sur cette photo ?” Ou “dis-moi parmi ces trois filles laquelle est ta copine ?” La réponse était toujours la même : “des amies rien d’autres !” Quant à la réponse à ma question brutale, il s’est contenté de rire en me disant que j’étais à côté de la plaque.

Bien sûr que ce n’est pas de sa faute… C’est à cet instant que l’homophobie vous saute à la gueule faisant de mon fils, de notre fils, de vos filles, de vos enfants des coupables.

Quatre ans plus tard, nous sommes dans sa petite salle à manger, où plus personne ne mange. Au lieu de ça, nous buvons ses paroles qui cherchent à nous rassurer. Je retiens ses premiers mots : “je suis homo, mais ce n’est pas de ma faute.” Bien sûr que ce n’est pas de sa faute, c’est comme ça c’est tout, inscrit dans ses gènes, dans son ADN… J’en sais rien ! Mais dans cette petite phrase, il y a aussi de la détresse, un malaise. Le poids de la pression sociale, toujours bien présente dans nos consciences et dans la sienne. C’est à cet instant que l’homophobie vous saute à la gueule faisant de mon fils, de notre fils, de vos filles, de vos enfants des coupables. Me revient alors les paroles très crues de Renaud “Il fait pas bon d’être PD quand on est entouré d’enculés.”

Je suis tellement fier de lui, tellement fier d’avoir sa confiance et d’être son père.